Joel Meyerowitz. Out of the Ordinary
Photographies 1970-1980
"En 1970, pendant la guerre du Vietnam
— c'est aussi l'époque où commence ce travail —,
une bourse Guggenheim m'a permis de parcourir l'Amérique
pour observer comment les Américains occupaient leurs loisirs
pendant que leur pays détruisait le Vietnam
et envoyait à l'abattoir cinquante mille de ses jeunes.
Ce travail avait une dimension absurde et ironique,
qui tenait à la vie quotidienne des Américains
et à la manière dont la couleur l'exprimait.
Autrement dit, je trouvais qu'il y avait
plus de contenu dans une photo en couleurs.
Après ce voyage, j'ai complètement abandonné le noir et blanc."*

Adepte dès ses débuts de l'instantané de rue, comme Garry Winogrand, de dix années plus âgé que lui, Meyerowitz (né en 1938) revendique sa pratique comme une manière de "voir le monde révéler ses mystères en une infime fraction de seconde". Cet aspect électif du prélèvement qu'opère l'image, en lien direct avec "l'instant décisif" de Henri Cartier-Bresson, est à l'époque encouragé par le modernisme photographique initié et défendu par le responsable de la photographie au Museum of Modern Art de New York, John Szarkowski. Comme le montrent les images de l'exposition, Meyerowitz est un reporter du quotidien, mais il est également le tenant d'une conception délibérément pulsionnelle et intuitive, mise au rang d'une posture existentielle, de la pratique photographique : "la photographie consiste à être présent, extrêmement présent."**
Sur le vif

Joel Meyerowitz fait des études de peinture et de dessin anatomique à la Ohio State University.
Directeur artistique d'une petite agence publicitaire à New York en 1962, il rencontre Robert Frank à l'occasion d'une commande. La manière très physique de bouger de Frank, comme la distance particulière qu'il instaure avec ses sujets, fascinent immédiatement le jeune homme qui donne alors sa démission pour se consacrer à sa nouvelle vocation : la photographie. Il n'en vivra réellement qu'à partir de 1977, mais il s'emploie néanmoins à construire une démarche personnelle dans la lignée de la photographie de rue. Il fait notamment des images des parades new-yorkaises traditionnelles qui lui permettent d'approcher ses sujets en surmontant sa timidité. Attentif aux sollicitations du réel, Meyerowitz s'applique à cette époque à en montrer différents aspects avec un humour dénué d'arrière-pensées. Dans un second temps, la découverte du livre mythique de Frank, Les Américains (publié en 1958), le conduira à une attitude plus réflexive et à la volonté de tout voir.

Il expose pour la première fois en 1964, à la Underground Gallery de New York, avant de passer une année en Europe, de 1966 à 1967, dont résultera l'année suivante l'exposition au MoMA, My European Trip: Photographs From a Moving Car.
Son goût pour la capture des détails fugitifs et révélateurs évolue au fil de son travail pour ce qu'il appelle des field photographs : "La pellicule couleur — qui limite la profondeur de champ —, m'obligeait à ralentir et à prendre mes photos de plus loin. Ce léger changement de situation, par rapport à l'espace et au temps, m'a amené à réaliser un nouveau type d'image où le centre était vidé de son sujet nominal, de l'accroche sur laquelle je construisais mes photos jusqu'ici. Du coup, le champ de mes photos s'ouvrait à des événements multiples et simultanés, plus fragmentaires".*
Les field photographs se caractérisent par des cadrages assez amples sur l'architecture et l'espace urbain, où Meyerowitz relève des éléments de situations visuelles dont l'interprétation reste en suspens. Il transpose ainsi la photographie de rue dans un registre plus énigmatique où l'anecdote, au lieu d'être centrale, devient à la fois accessoire et irrésolue. Il écrit par exemple, à propos de New York City (1975) : "Il reste dans cette photographie des traces de l'influence de Cartier-Bresson, que je n'aurais pu — ou voulu — abandonner pour rien au monde : la façon dont cette main gantée de noir se tend, comme pour aller toucher ces doigts qui font un geste d'au revoir dans le soleil éclatant. Quelques années auparavant, cela aurait pu être l'élément essentiel et central de la photo. Ici, il est réduit au statut de détail mineur, dans une image qui parle d'autre chose et a d'autres ambitions. J'essayais de rapprocher le photographe de l'expérience elle-même qui, par bien des aspects, est toujours incomplète et non résolue, et que je rechignais à affronter avant".**
La couleur

Il donnera, entre 1977 et 1978, sa version de la tradition du paysage américain dans le vocabulaire de la couleur avec quatre séries d'une esthétique paisible et méditative : Cape Light, Saint Louis et son arche, l'Empire State Building et les piscines de Floride au soleil couchant.

Les nombreuses images prises à Cape Cod, lieu de ses vacances depuis trente ans, témoignent aussi tout simplement de ses tentatives pour relier les effets de la lumière à la description de l'espace, qu'il s'agisse du paysage ou de l'architecture, comme dans Cape Cod (1976) : "La première vue de l'intérieur de cette maison, reflétée à l'envers sur le miroir, m'a procuré un frisson d'excitation que je ressens toujours aujourd'hui".** La prise de vue est en effet ce qui reste décisif dans la passion du médium de celui qui écrit de l'aboutissement de ces dix années de photographie couleur : "J'étais attiré par l'idée un peu perverse d'utiliser l'appareil photo, capable de tout représenter, pour représenter presque rien".*
Les citations de l'artiste sont extraites
du catalogue de la présente exposition (*éditions du Jeu de paume, 2006)
et de Joel Meyerowitz (**Phaidon, 2001)
du catalogue de la présente exposition (*éditions du Jeu de paume, 2006)
et de Joel Meyerowitz (**Phaidon, 2001)