Header img
Cathedra 1951 Vue de l'installation Barnett Newman

Cours & Conférences

"L’Image témoin : l’après-coup du réel" / 1

"Y a-t-il une limite à ce qui est représentable ?" avec Pierre Sorlin et Sara Guindani. Séminaire à l'Université Paris 8 - Saint-Denis

Hors les murs

> « Y a-t-il une limite à ce qui est représentable ? »
Première séance du séminaire avec Pierre Sorlin, professeur émérite de l’université Paris III Sorbonne nouvelle et Sara Guindani, chercheuse à l’Université Paris 8.

La représentation est l’évocation au moyen de signes d’une entité absente, dans un écart variable par rapport à cette entité. Indispensable pour assurer la communication elle est également source d’équivoque, son potentiel d’erreur dépend de la double capacité de l’émetteur à cerner au plus près l’entité et de l’aptitude du destinataire à interpréter le message. La Shoah est l’un des cas où cette double capacité est mise en défaut. Les tentatives de représentation sont innombrables, on parlera particulièrement des centaines de représentations cinématographiques en cherchant à comprendre pourquoi elles ne font qu’effleurer la périphérie de l’anéantissement des juifs d’Europe.

Pierre Sorlin est professeur émérite de l’université Paris III Sorbonne nouvelle. Il fut en France l’un des premiers universitaires à encourager les historiens à considérer le cinéma comme une source à part entière. Il est notamment l’auteur de Sociologie du cinéma (Aubier, 1977), The Film in History : Restaging the Past (Blackwell, 1980), European Cinemas, European Societies. 1939-1990 (Roudedge, 1991) et Italian National Cinema. 1896-1996 (Routledge, 1996). Ses recherches ont également porté sur la France de la IIIe République (Waldeck-Rousseau, Armand Colin, 1966), l’antisémitisme (La Croix et les Juifs. 1880-1899. Contribution à l’histoire de l’antisémitisme contemporain, Grasset, 1967 ; L’Antisémitisme allemand, Flammarion, 1969) et l’URSS (La Société soviétique, Armand Colin, 1964).

Sara Guindani est philosophe et spécialiste d’esthétique. Ancienne boursière du Collège de France, elle a enseigné l’esthétique et la philosophie de l’art auprès des universités de Milan et de Turin et enseigne actuellement auprès de l’université Paris 8. Ses recherches portent notamment sur les rapports entre arts, philosophie et psychanalyse, avec une attention particulière au rapport entre image et processus mémorial. Elle co-dirige, avec Marc Goldschmit, le séminaire « Spectres de la littérature » à l’École Normale Supérieure pour l’Institut des Hautes Études en Psychanalyse. Parmi ses publications : Lo stereoscopio di Proust. Fotografia, pittura e fantasmagoria nella Recherche (Milan, 2005), L’Image feuilletée. Temps et vision à partir de Proust (en préparation).

Le vendredi 19 octobre à 15 heures,
Bâtiment A, Université Paris 8 – Saint-Denis, salle A1-172

Écouter l’enregistrement sur le magazine

> « L’Image témoin : l’après-coup du réel », séminaire en 10 séances sous la direction d’Emmanuel Alloa, philosophe, en collaboration avec le département d’Arts Plastiques de l’Université Paris 8.

De même que le témoin porte la mémoire d’une expérience du passé, la photographie garde la trace indélébile d’un événement. Face à la violence extrême qui marque le XXe siècle, que signifie penser les images qui rendent compte d’actes de barbarie, non pas comme documents objectifs, mais comme autant de témoignages possibles du passé ? Les interventions de spécialistes internationaux abordent la question de la limite du représentable face aux génocides.

Dans La Chambre Claire, Roland Barthes affirmait que le « noème » de la photographie, c’est son « ça a été », autrement dit le fait que la plaque photosensible garde la trace indélébile d’un évènement. De façon analogue, on pourrait dire que le « noème » du témoin, c’est son « avoir été là », autrement dit le fait que le témoin fut présent au moment fatidique. Et pourtant, le témoin ne deviendra réellement témoin qu’a rebours, une fois qu’il se porte témoin d’une expérience irrémédiablement passée et qu’il redonne voix a ce qui n’est plus par l’après‐coup de son témoignage. Face à la violence extrême qui marque le XXe siècle, qu’est‐ce que cela signifie que de penser les images qui, tant de fois, enregistrèrent les actes de barbarie, non pas tant comme des documentations de faits objectifs, mais comme des réarticulations testimoniales qui ne se limitent pas a répéter le passé mais qui le produisent tout autant, de façon performative ?

Loin d’être soumise à la seule logique de la présence convoquée par le ça a été, l’image photographique obéit à plusieurs logiques temporelles et de discours. Initialement au service de la propagande totalitaire et de ses pulsions scopiques, il n’est pas rare que l’image change radicalement de signe pour passer du stigmate (image répondant aux stéréotypes de la discrimination ou à une logique de violence pornographique exigée par le régime totalitaire) à l’icône, incarnation de la victime, du martyre ou du héros, véritable pars pro toto qui risque à tout moment de la précipiter dans sa fétichisation.

À partir de l’analyse d’images qui illustrent particulièrement bien cette migration du stigmate au fétiche, le séminaire souhaiterait interroger la temporalité propre à l’image. L’hypothèse est qu’elle converge sur plusieurs points avec la temporalité psychique développée par la psychanalyse et notamment avec la notion de Nachträglichkeit (après-coup) qui caractérise le processus de réorganisation et de réinscription des événements traumatiques.
Les diverses conférences vont montrer que, si l’on reconnaît à l’image cette temporalité anachronique, rétroactive et paradoxale, les catégories d’irreprésentable, d’inimaginable et d’indicible cessent d’être efficaces et pertinentes pour une lecture des événements traumatiques de l’histoire.

Emmanuel Alloa est philosophe et théoricien de l’image. Maître de conférences en philosophie auprès de l’Université de Saint-Gall (Suisse), il est Senior Fellow auprès du Centre eikones sur l’image (Bâle) et enseigne l’esthétique au département d’Arts plastiques à l’Université de Paris 8. Dernières publications : La résistance du sensible (Kimé, 2008), Penser l’image (Presses du réel, 2010), L’Image diaphane (diaphanes, 2011), Du sensible à l’œuvre (La lettre volée, 2012). Il codirige auprès des Presses du réel la collection « Perceptions » dédiée à la logique du visuel et à ses transformations contemporaines. Ses recherches actuelles portent sur l’image testimoniale.