Header img
Muriel ou le temps d’un retour 1963 Alain Resnais

Cours & Conférences

"L’Image témoin : l’après-coup du réel" / 2

"Mémoire blessée et perlaboration figurale : le cinéma face à la guerre d’Algérie à partir de Muriel d’Alain Resnais" avec Angela Mengoni et Sara Guindani. Séminaire à l'Université Paris 8 - Saint-Denis

Hors les murs

> « Mémoire blessée et perlaboration figurale : le cinéma face à la guerre d’Algérie à partir de Muriel (France, 1963) d’Alain Resnais »
Deuxième séance du séminaire avec Angela Mengoni, historienne de l’art de l’Université de Venise et Sara Guindani, chercheuse à l’Université Paris 8.

Muriel ou le temps d’un retour d’Alain Resnais sortait dans les salles il y a plus de quarante ans, en 1963, juste après la fin de la guerre d’Algérie. Si le retour évoqué dans le titre fait référence à la narration filmique — le retour d’un amour passé pour Hélène et le retour d’Algérie, où il a été mobilisé, pour Bernard —, ce mot fait signe, en même temps, à la confrontation avec ce « temps du retour » qui est celui de l’après-coup : le temps d’un passé non élaboré qui ne cesse pas de hanter le présent.
Si les personnages n’arrivent pas à négocier une mise en forme possible de ce qui a été, la structure même du film semble proposer au spectateur un « travail » qui s’oppose à cet échec mémoriel. Un travail de montage subtil entre mots et images capable de capter l’incrustation du passé dans le présent et qui assume une valeur mémorielle puisque cette incrustation se révèle être aussi celle de l’ailleurs et de l’autrefois, de la torture et de la guerre dans l’ici, apparemment innocent, de la vie de province en France. Il s’agit d’un exercice de mémoire qui s’attache aux images d’archives de la guerre, en renversant la monumentalisation et la naturalisation (Barthes) dont elles étaient l’objet dans les médias de l’époque. Revenir aujourd’hui sur ce film implique enfin la possibilité d’y décerner, avec les yeux de notre présent, un discours sur l’état d’exception qui se mettait en place en ces mêmes années.
Angela Mengoni
Angela Mengoni est docteur de recherche en sémiotique (Université de Sienne) et travaille actuellement à l’Université IUAV de Venise.
Entre 2009 et 2012, elle a été chercheur post-doc dans le cadre du programme du Fond National Suisse eikones – Bildkritik « Pouvoir et signification des images ». Elle est chercheur associé au groupe de recherche ACTH – Art contemporain et temps de l’histoire, un projet coordonné conjointement par l’École de Beaux-Arts de Lyon et l’EHESS de Paris, et elle est membre de la rédaction de la revue Carte Semiotiche. Semiotica e teoria delle immagini et de la revue On Rheinsprung11. Zeitschrift für Bildkritik. Ses intérêts de recherche portent sur la sémiotique et la théorie de l’art et de l’image, en particulier sur les formes de la représentation du corps dans l’art de la modernité tardive (Ferite. Il corpo e la carne nell’arte della tarda modernità, Sienne 2012) et sur la relation entre image et mémoire, ce dernier thème étant au centre de son projet en cours sur “Montage et travail de mémoire dans l’Atlas de Gerhard Richter”.

Sara Guindani est philosophe et spécialiste d’esthétique. Ancienne boursière du Collège de France, elle a enseigné l’esthétique et la philosophie de l’art auprès des universités de Milan et de Turin et enseigne actuellement auprès de l’université Paris 8. Ses recherches portent notamment sur les rapports entre arts, philosophie et psychanalyse, avec une attention particulière au rapport entre image et processus mémorial. Elle co-dirige, avec Marc Goldschmit, le séminaire « Spectres de la littérature » à l’École Normale Supérieure pour l’Institut des Hautes Études en Psychanalyse. Parmi ses publications : Lo stereoscopio di Proust. Fotografia, pittura e fantasmagoria nella Recherche (Milan, 2005), L’Image feuilletée. Temps et vision à partir de Proust (en préparation).

Le vendredi 16 novembre à 15 heures,
Bâtiment A, Université Paris 8 – Saint-Denis, salle A1-172

Écouter l’enregistrement sur le magazine

> « L’Image témoin : l’après-coup du réel », séminaire en 10 séances sous la direction d’Emmanuel Alloa, philosophe, en collaboration avec le département d’Arts Plastiques de l’Université Paris 8.

De même que le témoin porte la mémoire d’une expérience du passé, la photographie garde la trace indélébile d’un événement. Face à la violence extrême qui marque le XXe siècle, que signifie penser les images qui rendent compte d’actes de barbarie, non pas comme documents objectifs, mais comme autant de témoignages possibles du passé ? Les interventions de spécialistes internationaux abordent la question de la limite du représentable face aux génocides.

Dans La Chambre Claire, Roland Barthes affirmait que le « noème » de la photographie, c’est son « ça a été », autrement dit le fait que la plaque photosensible garde la trace indélébile d’un évènement. De façon analogue, on pourrait dire que le « noème » du témoin, c’est son « avoir été là », autrement dit le fait que le témoin fut présent au moment fatidique. Et pourtant, le témoin ne deviendra réellement témoin qu’a rebours, une fois qu’il se porte témoin d’une expérience irrémédiablement passée et qu’il redonne voix a ce qui n’est plus par l’après‐coup de son témoignage. Face à la violence extrême qui marque le XXe siècle, qu’est‐ce que cela signifie que de penser les images qui, tant de fois, enregistrèrent les actes de barbarie, non pas tant comme des documentations de faits objectifs, mais comme des réarticulations testimoniales qui ne se limitent pas a répéter le passé mais qui le produisent tout autant, de façon performative ?

Loin d’être soumise à la seule logique de la présence convoquée par le ça a été, l’image photographique obéit à plusieurs logiques temporelles et de discours. Initialement au service de la propagande totalitaire et de ses pulsions scopiques, il n’est pas rare que l’image change radicalement de signe pour passer du stigmate (image répondant aux stéréotypes de la discrimination ou à une logique de violence pornographique exigée par le régime totalitaire) à l’icône, incarnation de la victime, du martyre ou du héros, véritable pars pro toto qui risque à tout moment de la précipiter dans sa fétichisation.

À partir de l’analyse d’images qui illustrent particulièrement bien cette migration du stigmate au fétiche, le séminaire souhaiterait interroger la temporalité propre à l’image. L’hypothèse est qu’elle converge sur plusieurs points avec la temporalité psychique développée par la psychanalyse et notamment avec la notion de Nachträglichkeit (après-coup) qui caractérise le processus de réorganisation et de réinscription des événements traumatiques.
Les diverses conférences vont montrer que, si l’on reconnaît à l’image cette temporalité anachronique, rétroactive et paradoxale, les catégories d’irreprésentable, d’inimaginable et d’indicible cessent d’être efficaces et pertinentes pour une lecture des événements traumatiques de l’histoire.

Emmanuel Alloa est philosophe et théoricien de l’image. Maître de conférences en philosophie auprès de l’Université de Saint-Gall (Suisse), il est Senior Fellow auprès du Centre eikones sur l’image (Bâle) et enseigne l’esthétique au département d’Arts plastiques à l’Université de Paris 8. Dernières publications : La résistance du sensible (Kimé, 2008), Penser l’image (Presses du réel, 2010), L’Image diaphane (diaphanes, 2011), Du sensible à l’œuvre (La lettre volée, 2012). Il codirige auprès des Presses du réel la collection « Perceptions » dédiée à la logique du visuel et à ses transformations contemporaines. Ses recherches actuelles portent sur l’image testimoniale.