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Orphelins arméniens 1915 © Armenian National Institute Armin Wegner

Cours & Conférences

"L’Image témoin : l’après-coup du réel" / 4

"Vous ne vous ferez point d’images : les archives arméniennes et la question de la fiction" avec Marie-Aude Baronian. Séminaire à l'auditorium du Jeu de Paume

Jeu de Paume - Paris

> « Vous ne vous ferez point d’images : les archives arméniennes et la question de la fiction »
Quatrième séance du séminaire avec Marie‐Aude Baronian, chercheuse à l’Université d’Amsterdam et Emmanuel Alloa, philosophe.

Peut-il y avoir des images d’un génocide ? Cette question peut être comprise de différentes manières. L’expérience génocidaire peut-elle recevoir une représentation adéquate, respectueuse, juste, ou bien s’agit-il ici de quelque chose « d’inimaginable » et donc d’irreprésentable ? Les documents et témoignages, forcément partiels, sont-ils capables de restituer la dimension totalisante de l’extermination ? Quel est le statut spécifique des témoignages visuels, et de quelle façon remettent-ils en question le principe d’irreprésentabilité ? Car avant de devenir un argument éthique dans le débat mémoriel, l’irreprésentabilité est une exigence fonctionnelle de tout génocide : l’anéantissement ne sera total que s’il n’y plus aucune trace permettant d’en rendre compte, l’extermination ne sera complète que quand elle aura fait disparaître toute trace de l’extermination.
Dans le cas du génocide arménien (1915-1917), la mise en œuvre des massacres s’accompagne d’une politique de l’image rigoureuse : toute documentation photographique est strictement défendue. Si cet interdit de représentation, qui s’ajoute aux obstacles aussi bien géographiques que techniques, a donné lieu à une absence quasi totale d’images de l’extermination des Arméniens, quelques rares exceptions existent. On se penchera sur le cas des archives d’Armin Wegner (1886-1978), infirmier allemand envoyé au Proche-Orient où il photographiera clandestinement les camps de concentration des déserts syrien et mésopotamien ainsi que les déportés autour d’Alep, avant d’être découvert et arrêté. Si certaines de ces photos sont devenues des « icônes négatives », invoquées comme preuve de la réalité génocidaire, ce que ces images montrent précisément n’est souvent pas clair – et Wegner n’a souvent fait que brouiller les pistes, modifiant plusieurs fois le récit de son périple –, si bien que les négationnistes ont pu s’en emparer, pour montrer à quel point leur « réalité » était douteuse. Le débat autour des archives Wegner soulève la question plus générale qui est de savoir dans quelle mesure la mémoire de la violence génocidaire tolère l’intervention de la fiction, voire même l’exige, et dans quelle mesure l’art s’oppose au témoin ou en prolonge au contraire le propos, quand celui-ci s’est tu.

Marie-Aude Baronian (née à Bruxelles en 1974), docteur en philosophie et en études cinématographiques, est maître de conférences aux Facultés des Sciences Humaines de l’Université d’Amsterdam. Elle enseigne au département de Media Studies dans le domaine de la philosophie de l’image, de la théorie filmique et de la culture visuelle. Spécialisée dans les questions du rapport entre mémoire et image ou entre éthique et esthétique, elle a publié de nombreux articles sur la représentation du génocide arménien, et sur des artistes et cinéastes tels que, par exemple, Atom Egoyan ou les frères Dardenne. Elle est, entre autres, l’auteur d’un ouvrage sur la question des images et de la mémoire du génocide arménien (L’Age d’Homme, début 2013).

Le vendredi 30 novembre à 18 h 30,
à l’auditorium du Jeu de Paume.
Entrée : 3 euros / Gratuite sur présentation du billet d’entrée
aux expositions (valable uniquement le jour même)
et pour les abonnés du Jeu de Paume.

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> « L’Image témoin : l’après-coup du réel », séminaire en 10 séances sous la direction d’Emmanuel Alloa, philosophe, en collaboration avec le département d’Arts Plastiques de l’Université Paris 8.

Dans La Chambre Claire, Roland Barthes affirmait que le « noème » de la photographie, c’est son « ça a été », autrement dit le fait que la plaque photosensible garde la trace ineffaçable d’un événement. De façon analogue, on pourrait dire que le « noème » du témoin, c’est son « avoir été là », autrement dit le fait que le témoin fut présent au moment fatidique. Et pourtant, le témoin ne deviendra réellement témoin qu’à rebours, une fois qu’il se porte témoin d’une expérience irrémédiablement passée et qu’il redonne voix à ce qui n’est plus par l’après-coup de son témoignage. Face à la violence extrême qui marque le XXe siècle, qu’est-ce que cela signifie que de penser les images qui, tant de fois, enregistrèrent les actes de barbarie, non pas tant comme des documentations de faits objectifs, mais comme des réarticulations testimoniales qui ne se limitent pas à répéter le passé mais qui le produisent tout autant, de façon performative ?

Façon de repenser la question de la limite du représentable, face au génocide. Tout génocide se caractérise par le déni de son caractère génocidaire : à l’anéantissement total s’ajoute l’anéantissement total des traces de l’anéantissement. Le séminaire affrontera la question de l’irreprésentable à travers ce que nous nommerons « l’éthique testimoniale » : à l’instar du témoin, l’image ne pourra jamais restituer la totalité des faits et ce qu’elle montre ne démontrera jamais rien. Dans sa partialité et son imperfection constitutive, elle conteste malgré tout la logique totalitaire qui peut prendre deux visages : la surexposition pornographique du tout-visible d’un côté et l’interdit théologique de toute visibilité de l’autre.

Emmanuel Alloa est philosophe et théoricien de l’image. Maître de conférences en philosophie auprès de l’Université de Saint-Gall (Suisse), il est Senior Fellow auprès du Centre eikones sur l’image (Bâle) et enseigne l’esthétique au département d’Arts plastiques à l’Université de Paris 8. Dernières publications : La Résistance du sensible (Kimé, 2008), Penser l’image (Presses du réel, 2010), L’Image diaphane (diaphanes, 2011), Du sensible à l’œuvre (La lettre volée, 2012). Il codirige auprès des Presses du réel la collection « Perceptions » dédiée à la logique du visuel et à ses transformations contemporaines. Ses recherches actuelles portent sur l’image testimoniale.