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Das Ghetto 1942

Cours & Conférences

"L’Image témoin : l’après-coup du réel" / 6

"Le documentaire qui n’en était pas un. Das Ghetto, 1942" Projection du film de Yael Hersonski, A Film Unfinished, suivie d’une discussion

Jeu de Paume - Paris

> « Le documentaire qui n’en était pas un. Das Ghetto, 1942″
Sixième séance du séminaire avec Yael Hersonski, réalisatrice,
Sylvie Lindeperg, historienne, Marie-José Mondzain, philosophe
et Emmanuel Alloa, philosophe.

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les bobines d‘un film d’archives de 60 minutes ont été découvertes en Allemagne de l‘Est. Tourné par les nazis à Varsovie au printemps 1942, et simplement étiqueté « Das Ghetto », ce film muet est vite devenu une référence pour les historiens en tant que document exceptionnel de la vie dans le ghetto de Varsovie. Peu de documentaires télévisés où l’on ne trouve pas l’une ou l’autre trace de ces images, peu de mémoriaux de la Shoah à travers le monde qui n’exposent pas l’un ou l’autre arrêt sur image. En 1998, pourtant, la découverte d’une bobine manquante contenant des « rushes » a sensiblement compliqué l’interprétation du film. Si l’on ne connaît toujours pas avec certitude quelle forme le film aurait pris dans sa version définitive, les « rushes » n’ayant jamais fait l’objet d’un montage, il est aujourd’hui incontestable que l’on ne peut d’aucune manière parler d’un film « documentaire ». Juste avant l’évacuation du ghetto et la déportation de ses habitants vers Treblinka, les caméramans nazis filment la déréliction – réelle – des juifs, pour l’imputer à une clique de riches juifs dont ils mettent en scène les bombances et les orgies au sein du ghetto, selon un scénario pré-établi et avec des costumes.
Dans A Film Unfinished, Yael Hersonski tente un montage de ce qui reste des bobines et contextualise les scènes, dont certaines sont parfois rejouées plusieurs fois pour leur donner une apparence plus véridique. Pour pallier l’absence de bande-son, la réalisatrice donne voix aux protagonistes qui ont parfois – comme le président du Conseil juif du ghetto, Adam Czerniakow, ou encore l’historien du ghetto Emanuel Ringelblum – consigné leurs impressions par écrit, avant d’être déportés, ou encore retrouve des rescapés qui, face aux images, se remémorent le tournage. Ces images, prises par les nazis, soulèvent la question de ce que peut être aujourd’hui une « critique » de l’image qui peut démont(r)er en détail la puissance du regard racialisant. Tout montage est-il forcément critique, et comment se prémunit-il contre la tentation voyeuriste que suggèrent ses objets ?

Yael Hersonski est réalisatrice. Diplômée de la Sam Spiegel Film & Television School de Jérusalem, elle a travaillé en tant qu’éditrice pour la télévision israélienne. A Film Unfinished est son premier documentaire qui a été lauréat du prix du montage à Sundance en 2010 et du prix du meilleur documentaire aux Hotdocs la même année. Yael Hersonski vit et travaille à Tel Aviv.

Le vendredi 18 janvier, à l’auditorium du Jeu de Paume.
À 17 h : projection du film de Yael Hersonski, A Film Unfinished (2011, 90’, vo st anglais).
À 18 h 30 : discussion avec Sylvie Lindeperg, historienne, Marie-José Mondzain, philosophe, et la cinéaste, animée par Emmanuel Alloa, philosophe.
Entrée : 3 euros / Gratuite sur présentation du billet d’entrée
aux expositions (valable uniquement le jour même)
et pour les abonnés du Jeu de Paume.

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> « L’Image témoin : l’après-coup du réel », séminaire en 10 séances sous la direction d’Emmanuel Alloa, philosophe, en collaboration avec le département d’Arts Plastiques de l’Université Paris 8.

Dans La Chambre Claire, Roland Barthes affirmait que le « noème » de la photographie, c’est son « ça a été », autrement dit le fait que la plaque photosensible garde la trace ineffaçable d’un événement. De façon analogue, on pourrait dire que le « noème » du témoin, c’est son « avoir été là », autrement dit le fait que le témoin fut présent au moment fatidique. Et pourtant, le témoin ne deviendra réellement témoin qu’à rebours, une fois qu’il se porte témoin d’une expérience irrémédiablement passée et qu’il redonne voix à ce qui n’est plus par l’après-coup de son témoignage. Face à la violence extrême qui marque le XXe siècle, qu’est-ce que cela signifie que de penser les images qui, tant de fois, enregistrèrent les actes de barbarie, non pas tant comme des documentations de faits objectifs, mais comme des réarticulations testimoniales qui ne se limitent pas à répéter le passé mais qui le produisent tout autant, de façon performative ?

Façon de repenser la question de la limite du représentable, face au génocide. Tout génocide se caractérise par le déni de son caractère génocidaire : à l’anéantissement total s’ajoute l’anéantissement total des traces de l’anéantissement. Le séminaire affrontera la question de l’irreprésentable à travers ce que nous nommerons « l’éthique testimoniale » : à l’instar du témoin, l’image ne pourra jamais restituer la totalité des faits et ce qu’elle montre ne démontrera jamais rien. Dans sa partialité et son imperfection constitutive, elle conteste malgré tout la logique totalitaire qui peut prendre deux visages : la surexposition pornographique du tout-visible d’un côté et l’interdit théologique de toute visibilité de l’autre.

Emmanuel Alloa est philosophe et théoricien de l’image. Maître de conférences en philosophie auprès de l’Université de Saint-Gall (Suisse), il est Senior Fellow auprès du Centre eikones sur l’image (Bâle) et enseigne l’esthétique au département d’Arts plastiques à l’Université de Paris 8. Dernières publications : La Résistance du sensible (Kimé, 2008), Penser l’image (Presses du réel, 2010), L’Image diaphane (diaphanes, 2011), Du sensible à l’œuvre (La lettre volée, 2012). Il codirige auprès des Presses du réel la collection « Perceptions » dédiée à la logique du visuel et à ses transformations contemporaines. Ses recherches actuelles portent sur l’image testimoniale.